Canadian Life Style

L'avion tourne sur lui même, et pique à toute vitesse vers le sol, et puis l'instructeur donne l'instruction "Recover" dans le casque.
Rudder opposé, gaz au ralenti et ailerons au neutre, en soulageant un peu la force sur le manche, l'avion s'arrête de tourner, et une ressource calmera la chute vertigineuse. La vrille était un exercice que j’appréhendais avant mon arrivée au Canada, mais elle est le passage obligé vers la licence de pilote pro. 

Au loin Calgary et ses tours se dressent sur l'horizon, une rapide prise de l'ATIS, puis un rapide appel sur 128.7 (Calgary Terminal) et nous voila avec la clearance pour rentrer à Springbank via la North Ghost Route à 6000'. Sur la fréquence, les gros de ce monde reçoivent des clearances IFR et me font rêver, moi et mes 160ch... 
Le terminal nous appelle et nous demande de passer avec l'un des deux tours de Springbank pour l'arrivée:

"- Springbank Tower, C-FBBN, 6000ft, south of Cochrane, with information M
 - BBN, Springbank Tower, runway 08, altimeter 2986, cleared for straight-in 08 descent to 5500' report over highway 22" 

La suite du vol est relativement calme : on va chercher la longue finale 08, on shoote la "pre-landing" checklist, et on descend tranquillement sur le plan. On conclu le vol sur un "soft field" effort qui est un atterrissage sur piste meuble. 

Je viens de finir mon cursus de pilote pro, et mardi 30 septembre sera l'heure de la sentence ou de la délivrance, mais sera à coup sûr un jour qui restera gravé. 0800AM, je serai assis dans la salle de cours avec l'examinateur Transport Canada en face de moi, et c'est à ce moment là qu'il faudra faire ses preuves.

En tout cas, je ne regretterais rien, ni les concessions, ni les déceptions, ni même mon départ de la France. 
J'ai signé pour un minimum de 2 années au Canada, et je ne compte pas rentrer avant. 

Saut dans l'inconnu

 Aujourd'hui, je suis accompagné par un autre pilote pour un petit vol local sans autre but que de se faire plaisir. On a prévu de partir de LFCL, puis d’enchaîner par un transit sur LFBO. A la suite du transit on se dirigera vers LFCX, puis on rentrera en passant par le VOR de Gaillac.

Les jours précédents ne nous ont pas gâté en terme de météo, et pour la première fois aujourd'hui, le soleil fait briller ses rayons.

L’hélice tracte la carcasse de bois à travers les airs, les équations mathématiques agissent sur les ailes pour nous garder en l'air tout en luttant contre la gravité. Je profite du court laps de temps qu'il y a entre le point de sortie de LFCL et le début du transit de LFBO pour transmettre mes intentions à l'info en vol.

Alors qu'on arrive à quelques secondes d'EN, l'info en vol nous transfère sur la tour de Toulouse pour le transit, la tour a les éléments: 

- "Toulouse Tower,  F-KC good afternoon, 2000ft, Echo November, to proceed Echo Alpha"
- " F-KC, good afternoon, proceed direct EA."


J'incline lentement les ailes, et Toulouse s'offre à nous, inondée par les milliers de photons propulsés par un soleil éclatant.

Je n'ai jamais eu aussi peur qu'aujourd'hui, peur de l'épreuve qui m'attend en 2016. Peur et excitation se mélangent jours après jours, les sentiments sont étranges. 
J'ai peur d'ouvrir le nouveau livre de ma vie. Sortir de sa petite zone de confort n'est jamais chose facile, et c'est une des épreuves que je redoute le plus. 

Casser sa zone de confort est une des choses les plus difficile à faire, mais aussi une des chose les plus excitante qu'il ait été donné de faire. Reconstruire, se débrouiller, découvrir de nouveaux environnements, créer de nouveaux liens avec les gens, et puis, se retourner sur sa vie et se dire "Putain, c'est beau d'y être arrivé", se sentir comme un mec qui vient de finir un marathon, souvent dans le doute, dans la souffrance, mais qui vient de franchir la ligne... 

Mon choix est identique à celui d'un commandant de bord qui atteint sont Point de Non Retour (PNR) sur son vol transatlantique, si une avarie plus ou moins grave se déclarait à bord, est ce que je ferais demi-tour, ou est ce que je foncerais droit devant ? 
J'aurais tellement à perdre en faisant volte-face aujourd'hui que ma décision est vite prise.

J'ouvre les yeux, et Toulouse rayonne toujours autant sous le soleil. 
Ma décision se conforte. On sera au Canada en 2016, et on y sera plus fort que jamais.