AE, ou l'art de faire difficile.


Le soleil émet ses premiers rayonnements, l'air est frais, et mes yeux sont collés par le sommeil.

Je suis devant le portail de l'école dont j'ai toujours rêvé, celle qui berçait mes jours et mes nuits, celle qui "donne" le Graal à tous les pilotes : L'ENAC.

J'ai depuis deux ans maintenant tourné la page "rêve" du bouquin de ma vie, et pour cause, sans Classe 1, pas d'ENAC. Et puis je me console en me disant qu'avec mes résultats scolaire ne suivent pas pour un tel cursus.

Après un contrôle de routine par les agents de la sécurité, je pénètre dans l'enceinte de L'ENAC, et je dois dire que c'est beau, très beau même. Bâtiment impeccables, personnel qui se baladent en Caddie de golf (témoignant de la taille de l'enceinte), parterre fleurit par des entités qui sentent bon l'été. Manque que les filles pour que ça ressemble à l'université Américaine que nos écrans de télévision nous balancent.

Signe du destin, j'ai rendez vous dans le Bâtiment Daurat, nom identique au nom de la rue du CEMPN.

Je m'attendais à voir plus de 200 candidats devant l'étroite porte d'examen. Je me rapproche de la porte et je peux apercevoir que nous ne sommes que 6. Encore une fois c'est le rêve puisque cette année, l'ENAC recrute 10 candidats ou plus suivant la demande.

Le premier sujet de Français arrive, texte sur le givrage à résumer en 239 mots, pas plus. Je prends le temps de lire, d'identifier les termes importants, d'éliminer les déchets.
Pour moi ce genre d'épreuve est une grande première puisque je n'ai jamais fait de contraction de texte. Et c'est un échec total. Je suis à 341 mots et il me reste 5 minutes.

Durant la petite pause qui nous est accordée entre le français et les épreuves scientifiques, je discute un peu avec les candidats, et je m'aperçoit vite que je suis le seul Terminale S, et que les autres candidats sont d'un niveau plus ou moins égal à Bac+2.

Une dame nous dit alors de rentrer pour s'installer de façon a commencer l'épreuve de Maths/Physique.
Les premières questions concernent le basique de la terminale S, à la différence qu'il faut avoir un tantinet de jugeote pour pouvoir répondre, puisque les énoncés semblent être incomplets... On passe du coq à l'âne, de la mécanique au calcul intégral. Une mécanique un peu difficile. J'ai l'impression de pas trop mal m'en sortir, mais j'attends la note avant de me prononcer.

13H30, c'est le ventre plein que je reviens à l'attaque du concours AE, cet après-midi, c'est Anglais et connaissances aéronautiques.

On est ici bien loin de l'anglais aéronautique, puisqu'il n'y a sur la feuille que de la grammaire et de la correction de langue. Le concept de IVAO est bien loin.
Je pense la aussi avoir assuré quelques points, mais je reste méfiant.

Dernière épreuves, les connaissances aéronautiques, qui ne m'ont pas posé de problèmes, puisqu'on est ici dans les questions élémentaires du PPL ( FB, cap, mécanique du vol)... La je suis plus que confiant.

Je sors lessivé, mais content.
Cette école semble se distinguer des standards de l'éducation nationale, la chère, la fameuse.

Ça va faire 3 longues semaines que je n'ai pas volé, le temps est long, ici, quand on a les pieds sur terre. Les dimanches de vol me manquent, mon DR400 me manque, mes KFC du dimanche soir, avec El Rey, à discuter A320 devant un bucket de cuisses de poulet compactées me manquent.

Je me pose la question du jour ou il faudra tout quitter, prendre un "Heavy" pour rejoindre le pays des Caribous...
Je me dis aussi que le Canada, c'est le début de la belle vie, celle que j'ai attendue, assis sur ma chaise du lycée. Celle où ton reveil sonne pour te dire que c'est l'heure d'aller voler dans les nuages, de zigzaguer parmis les CB's, de faire une approche aux minimas.

Ces derniers temps, et après que le trafic aérien ai reprit du service, je recommence à contempler les avions qui laissent des contrails dans le ciel, le matin alors que le soleil éclaire leurs carlingues d'une lumière rose. J'imagine cette même lumière qui illumine le cockpit. Je rentre dans le rêve.

J'en sors vite lorsqu'il est temps d'entrer dans le métro, direction le lycée, direction la chaise du fond de classe.

Arrivées opérationelles






On annule l'intention de vol déposée pour l'aéroport de Perpignan, à cause d'une carte essence égarée par le pilote précédent et un timing serré.

On ira cependant vers Lézignan, en passant par Castelnaudary, Carcassonne, en faisant une verticale Lézignan, puis un petit tour au dessus de la mer.

Visite prévol qui ne révèle rien de suspect. On tire l'avion jusqu'à la ligne de mise en route. Pendant que mon instructeur va faire le plein du DR-400, je vais tirer sur le PC, les cartes VAC de Lézignan. Voila tout ce que, un petit changement de destination peut entrainer.

Je rejoint "le crew" à la pompe. J'assiste contre mon gré aux ravages gastriques que peut produire l'avion sur l'Être Humain. Une femme adossée contre la cahute de paiement, semble lutter, vents et marrées, contre les vagues acides qui lui taraudent les dents du fond. C'est la que tu te changes les idées en te disant que ça ne t'arrivera jamais.

Le DR-400 avale le taxiway sous un soleil de plomb, doucement atténué par la nuit qui se lève. Essais moteur et derniers items d'avant décollage et on s'aligne sur la 34, avec un départ immédiat. Je pousse la manette des gaz et le badin s'agite. Paramètres dans le vert et rotation. Le train principal quitte le sol, et bientôt on voit Toulouse de haut.

On quitte Lasbordes puis on contacte le SIV de Toulouse pour pousser notre montée jusqu'à 5000 ft QNH. Pour ma part je préfère toujours passer avec le SIV, même si le contact n'est pas obligatoire, car c'est un gage de sécurité tant envers les avions qu'envers les espaces, plutôt difficiles à cerner au niveau de Blagnac.

On a prévu de se référer au log de navigation, jusqu'à Carcassonne, puis de prendre un cap jusqu'à Lézignan.On fait une verticale lézignan, alors que devant la capot moteur s'étend une grande étendue bleue. On passe les quelques barrières de relief, non sans turbulences, puis on passe de la terre à l'eau. Du bonheur en barre. L'eau bleue change radicalement des paysages habituels. Pendant 20 minutes on vole le long du littoral, puis on bifurque à gauche pour se diriger vers Lézignan.



En chemin je m'égare, cherche et finalement je trouve. Derrière le relief peu étendu, se trouve le petit et calme aérodrome de Lézignan-Corbière. Reconnaissance, et intégration sur la main droite 26. On décide de faire une arrivée rapide.
Plein volets, plan fort à la sauce PTU. Vitesse un peu forte et l'avion touche la piste. On dégage le taxiway. Je roule au park, ouvre la verrière et respire l'air pur, qui change de l'air pollué de l'agglomération Toulousaine.

On prend quelques bouffées d'air pur, puis on grimpe dans le cockpit pour un retour rapide vers Toulouse, via Castres.
On assiste à scène peu commune dans le monde de l'aviation: Un trafic VFR s'est introduit parmi les avions commerciaux sans clairance du contrôleur.
En effet ce dernier était monté à FL085 pensant qu'il était en espace non contrôlé, comme le mentionnait sa carte 1/500 000ème( 4000/+). Or la carte 1/500 000 ème n'est valable que jusqu'à 5000ft. Le contrôleur lui a donc fait une petite leçon de réglementation en direct.
En passant, ça m'a également servi de leçon puisque j'ai encore un peu de mal avec les espaces aériens.



Je règle le VOR sur 117.70, puis sélectionne la radiale 269, qui constitue un flanquement pour retrouver le lac de AE, point d'entrée du circuit d'aérodrome de Lasbordes.

Je commence à automatiser mes approches. J'essaye de ne rien oublier: Landing lights, pompe, volets sur 1. On vire en finale au dessus de chez notre ami Édouard Leclerc, volets full, et le 34 de la piste en service se rapproche. La gravité joue son rôle et notre train touche le sol. On dégage la piste, fin du vol.

Malgré la fatigue des premières navigations, j'ai qu'une envie, celle de recommencer encore et encore.
Il me tarde tant de remplacer les bruits des dégâts gastriques de mes passagers, par le bruit des réacteurs lorsque ta main pousse la manette des gaz de ton beau liner.
Il est clair que j'envie ceux qui se trouvent là maintenant au FL350, avec comme unique bruit de fond celui du vent qui heurte le "windshield ".

La recette de la réussite.


12H10, je ferme la porte de la classe d'Anglais, exclu pour d'obscures raisons.

13H05, je quitte à toute vitesse le lycée, direction le MacDonald du Capitole. Je pénètre par la petite porte dans le restaurant et j'ai devant les yeux, la raison de la réussite de la firme Américaine.


La réussite par la beauté.

On aura beau dire ce que l'on veut, la première impression est nécessairement physique. Et Macdonald joue avec mes nerfs sur ce coup là.
Femme d'une 30aine d'années( je dirais même de 25 ans...), aux yeux pétillants, marrons. De taille moyenne, elle respire la joie de vie dans son uniforme de MacDonald. Le fantasme de la MILF est en marche, et mon cerveau ne sait plus quelle hormone envoyer dans mon système sanguin. C'est la femme que tu arrives a voir dans ta vie, l'être parfait. Celle que tu fixerais bien au fond d'un boitier de reflex.
Je mange Macdo, vis Macdo, pour uniquement la voir.
Maintenant, il est clair que c'est et ça restera un fantasme pour moi, jeune de 19 ans. Le fantasme qu'on tous les jeunes concernant les MILFs.

"-Vous voulez la carte Mac VIP ?
Ses yeux marrons, étirés par du mascara noir profond, me fixent.
- Euh ben c'est à dire que je l'ai perdue... deux fois.
- Je vais vous en redonner une, mais ne la perdez pas!
- D'accord, j'y ferais attention."

Ton cœur te dis de tout lui balancer, mais ton esprit t'en empêche, comme une barrière infranchissable. Barrière des premiers mots.
Peut-être préférais-je faire durer le désir, car comme j'ai essayé de le placer lors de mes devoirs de Philosophie :


Que se passe-t-il lorsque le désir n'est plus ?


Le BAC approche et les heures de vol s'amenuisent. Il est temps de se mettre au boulot et de passer le BAC avec succès.
3 ans que cette passion du vol me tient à cœur, et toujours pas la moindre trace de faiblesse sentimentale.

Le vol du week-end dernier à destination de Rodez fût encore de toute beauté, les averses de pluie, les CB's, les rafales. Toute la beauté de la nature en 3 mots.

C'est la première fois que je vois des CB's depuis le ciel, et je dois avouer que quand ils se présentent devant toi, et qu'ils imposent leurs masses humides et dévastatrices, ça ne laisse pas indifférent.

L'heure du premier lâché solo approche, et je réfléchi, me fais mes films, et pense au moment ou je reviendrais au club, et que j'ouvrirais la verrière après mon lâché. De belles émotions en perspectives.
Je tombe néanmoins dans la logique "Et si, et si...", cette logique qui te permet de te faire des films, mais qui t'apporte également le stress particulier à ce genre d'épreuve.
J'ai bossé, maintenant, il n'y a plus qu'a.

On passera de la réussite par la beauté, à la réussite par le travail.

Dans 3 h, je me plongerais dans les VAC, les cartes 1/500 000ème, les logs de nav, pour préparer le vol vers Perpignan. Pour la première fois de ma jeune vie, je vais voir la mer d'en haut. Et pour une fois depuis pas mal de temps, le soleil est de la partie. Pas d'averses, de CB's, de neige, de verglas, de grêle, d'orages, mais du Bonheur, le vrai bonheur.