Aujourd'hui j'ai fais la course avec un 737.
J'ai perdu.
Take-Off power set.
J'annonce rotation, et je tire légèrement le manche vers l'arrière. On s'envole droit vers l'épais plafond gris qui recouvre la France de l'Ouest.
Ce dimanche est triste, les points d'arrêt de Lasbordes désespérément vides de tout trafic. Gloomy Sunday.
Je commence la section concernant les navigations,même si officiellement je l'ai déjà bien entamée. En effet les tours de piste étant fermés le Dimanche à Lasbordes, on a dû pendant longtemps se dérouter vers d'autre aérodrome de façon à faire crisser la gomme.
Cependant, en ce dimanche maussade, c'est une grande première pour moi, car il n'est pas question de parler de tours de piste. J'ai un essai, un atterrissage pour convaincre. Tu sors full flaps, et tu joues ta vie.
Que c'est bon, ces jours où tu flirtes avec ce que la nature t'offre, les choses simples de la vie. J'arrive encore et toujours à m'émerveiller devant la Terre vue d'en haut. Ce plaisir indescriptible qui te laisse penser que ce qu'on t'offre c'est une chance.
Je pense, et ne cesse de le penser, que de plus en plus de monde vise à chercher le plaisir complexe, et qu'on ne cesse de passer à côté des plaisirs simples. Trêve dans les pensées philosophiques.
Le vol est ce qu'il y a de plus classique:
Aviate, Navigate, Communicate
On évite les nuages, parfois on joue avec, le plafond bloque notre montée à 1600ft. Je suis désormais à deux doigts de pouvoir dire que j'ai la tête dans les nuages.
Cahors se profile devant la casserole de l'hélice, et on s'intègre dans le circuit après avoir fait une reconnaissance préalable. En vent arrière, je suis légèrement trop près de la piste, mais peu importe, je m'aviserais de corriger.
Dans ta tête à ce moment là, tu anticipes ta trajectoire, tu te remémores la C/L d'approche finale, tu t'attends à tout sauf a ce que les RPM tombent dans le rouge. Et pourtant...
Les RPM, ceux qui te tiennent en vie, véritable coeur de l'avion, viennent de tomber dramatiquement dans la zone critique. Tu tournes la tête vers l'instructeur, qui avec son petit sourire diabolique et sa main ferme vient de transformer l'avion en un simple planeur. Et si les instructeurs étaient des magiciens ? Ou des faucheuses qui selon leurs humeurs enlèvent la vie de la carcasse métallique qui te porte dans les airs?
"Allez PTU"
PTU, où "prise de terrain en U", la manœuvre qui te sauvera le jour où ton hélice ne brassera plus l'air.
La piste à ma droite défile et j'ai du mal à bien effectuer ma PTU, surement encore en manque de repères. J'arrive tant bien que mal à placer l'avion en finale.
Plan fort, flaps full, je joue ma vie...
J'arrondis et les roues percutent le sol, le KC retrouve le plancher des vaches. On roule au parc.
Le temps de prendre quelques photos sous le ciel pesant, et déjà on doit repartir car le timing est serré. Au passage, je suis fier d'avoir su placer la ligne jaune, juste sous la roue de l'avion... Fierté
Après les longues vérifications usuelles, j'annonce sur la fréquence que je vais remonter la 31. Transpondeur sur alt, landing lights sur on, pompe sur on, volets sur 1. Je remonte la piste. J'entre sur la raquette et m'aligne au seuil de la piste. L'instructeur me lance: "Tu as perdu 5 mètres et ce serait précieux en cas de panne au décollage". C'est là que tu sens que y'a un truc qui va foirer.
"F-KC on décolle piste 31"
La main gauche pousse la manette des gaz et l'avion commence à avaler la piste. Paramètres normaux, badin actif et rotation. L'avion commence à s'arracher du plancher des vaches, direction les cieux.
L'avion ne monte plus, l'instructeur à revêtu son habit de faucheuse, et la main ferme a tiré la manette des gaz vers le ralenti. Le briefing de sécurité nous donne qu'en cas de panne majeure après la rotation on doit poser "droit devant en évitant les obstacles". A Cahors, la 31 nous catapulte dans les arbres...
Tu sais que le jour où la panne est réelle, il te reste juste à prier pour que le choc ne soit pas trop violent.
Le retour se fera à la sauce déroutement, avec calcul des caps sur le moment, juste à l'aide du "pifomètre".
Cette "sauce" m'a d'ailleurs permit de trouver le métier idéal pour moi, si jamais la porte du flightDeck reste à jamais fermée. Je serais Vendeur de Tapis. L'explication de choix est d'une simplicité déconcertante:
Retour sur LFCL, on est installé à 2000ft on croise le point E et on se dirige vers AE, de façon à pouvoir rejoindre la verticale de LFCL. N'ayant pas le compas dans l'œil, je m'égare, balbutie mes caps, hésite, et au final me pomme dans la campagne Toulousaine. J'essaye de vendre un premier tapis à mon instructeur, qui est loin de se faire avoir aussi facilement, lui a déjà AE dans son collimateur. Je suis de la génération FS, habitué ( plus ou moins) au VOR, je cale la fréquence de la NAV1 sur celle du VOR de TOU. L'aiguille s'agite et j'essaye de la centrer, je suis sur la radiale Est. Je tourne l'OBS vers 089 et l'aiguille du VOR se décentre. Je lève la tête, et devant la casserole, le graal: AE.
Comme quoi les instructeurs ne sont pas les seuls magiciens à bord. J'essaye régulièrement de vendre du tapis, sans succès, et dans ce cas précis, j'ai été le vendeur vendu. Le VOR, je le maitrise sur FS, mais je suis loin de le maitriser sur le terrain.
Le retour sur LFCL, est des plus classiques, et l'aérodrome n'est pas plus actif qu'avant. J'ai cette image spéciale dans la tête: en finale sur la 34 de LFCL, on se frotte au liners qui atterrissent sur Blagnac. Dans mon cockpit je suis comme l'immigré sur l'île d'Ellis Island voyant de loin "l'American dream", n'y accédant jamais.
Mention spéciale pour mon atterrissage, qui ne nous marquera pas les lombaires comme ceux d'avant. Fierté quand tu nous tiens.
Les rayons du soleil ont réussi à percer la couche et teinte de rouge la couche nuageuse. Le cockpit revêt sa robe grise. On étouffe le moteur, le silence est de mise, je pousse sur le "Master Switch". Fin du rêve. Comme un gosse à qui on enlève la tétine.
J'ai reçu ma convocation pour aller passer le concours Agent d'Exploitation à l'ENAC. Je ne veux pas y rentrer, juste essayer. Rentrer à l'ENAC serait en l'état actuel des choses, éliminatoire pour pas mal de choses dans l'aviation professionnelle. L'an prochain c'est licence IMP à Paul Sabatier, et après je pense que il sera l'heure pour moi de partir dans les plaines Canadienne. C'est alors que ce blog prendra tout son sens.
Je voulais aussi parler d'un blog qui me tient particulièrement à coeur: http://nayrusetvoila.blogspot.com/
Je ne le décrit pas, de quoi attirer votre attention...
En attendant,je quitte les lunettes et le casque, et, je retourne sur la chaise du lycée, en pensant encore et toujours à mes avions et au week-end prochain.
Le lycée ou le formatage industriel.
J'entre mon identifiant, et mon mot de passe sur la page sobre du logiciel qui nous permet d'accéder à un résumé de notre scolarité.
Je clique fébrilement sur le lien permettant d'accéder à mon bulletin du second trimestre. 10.20 de moyenne, n°8 de la classe. Ni bon ni mauvais en quelques sortes.
Les commentaires sont, "as usual" d'une froideur déconcertante. Par exemple, Mme la professeur d'Histoire/géographie, m'offre ce magnifique commentaire:
"aucun travail de fond dans la matière."
Amusons nous à analyser scrupuleusement ce commentaire, on nous apprend tellement à bien faire des commentaires que ça va être un plaisir.
Je commencerais par dire que un professeur dans son statut de dominateur parfait, maître du monde et des mots se doit d'être irréprochable et malheureusement, une phrase se commence par une majuscule, et se termine par un point.
Ma position favorite, celle du fond de la classe. Le seul endroit, endroit ou je peux essentiellement me consacrer à mon livre. Alors dire qu'il n'y a aucun travail de "fond" est faux.
De nature autodidacte, je préfère me plonger dans le livre d'Histoire plutôt que d'écouter mon prof parler, son égo en prend un coup et malheureusement dans ce cas mon bulletin trinque.
La façon la plus lâche de critiquer, un peu comme l'homme qui largue sa copine via Msn ou FB... Valeur de l'éducation quand tu nous tiens.
Je finirais ce commentaire en disant que à l'évidence, dans cette matière, la réciproque est également vérifiée. J'ai uniquement envie de lui demander: "Et toi, quel travail de fond dans ta matière? " Elle me répondra surement que elle, elle fait ses cours. Cours dont la chose nouvelle se cantonne à la mise en page, le reste étant plagiat.
On a qualifié mes progrès en Espagnol de progrès légers. 3 points de moyenne, c'est tellement léger. A en perdre la tête.
Einstein disait :
"L'école devrait toujours avoir pour but de donner à ces élèves une personnalité harmonieuse et non de les former en spécialistes."
Actuellement c'est le contraire qui se passe dans le système éducatif, et personne ne fait rien pour que cela s'arrête. Les écarts de programmes sont sanctionnés, et la culture formalisée à sa plus simple expression, c'est à dire à une pâté de formules en boite, à ingérer à toute vitesse, sous peine que les têtes tombent, sous le poids de la guillotine des inspecteurs.
A quand un école réellement plaisante, celle où l'instruction devient un plaisir. Ou la découverte émerveille l'âme et participe activement à l'aponie et l'ataraxie ?
Tant que l'on ne m'empêche pas de piloter, je veux bien continuer à écouter la douce parole de nos chers professeurs et à manger cette pâté infâme...
Comme dans un rêve...
Les passagers montent dans la cabine, ou je les attends patiemment.
Dehors la pluie tombe et le froid est vif, mais qu'importe dans mon B747, on est chauffé. Je regagne le cockpit où le copilote s'affaire au dernier préparatif du vol.Les lampes au sodium de l'aéroport de DeGaulle plongent le cockpit dans un noir profond dont seul la Dome light peut nous sortir. Drôle d'ambiance.
Le vol programmé aujourd'hui nous amènera de Paris à Boston. On remontera le long de l'Irlande, jusqu'à Cork puis on traversera la longue étendue bleue sur une des multiples NAT disponibles.
Les gouttes de pluies s'écrasent sur l'épais pare-brise de l'avion et on perçoit à travers ce dernier les hommes s'affairant autour de l'énorme masse métallique, dont je suis le seul garant. Je remplis mon FMC, et j'égrène ma C/L comme j'ai pu l'apprendre tout au long de ma vie de pilote. Mon copilote ne daigne pas sortir un seul son de sa bouche et effectue son travail comme un automate, automate infaillible.
Après plusieurs minutes de préparation, le chef de cabine ouvre la porte épaisse du cockpit et me dit que tout est prêt en cabine. De mon côté, j'en profite pour dire au sol que nous serons bientôt prêt à repousser.
"DeGaulle Prévol" nous donne un clairance de départ puis nous autorise à repousser. J'allume les beacon, je switche sur la page STAT, et mon EFIS me montre que l'APU fonctionne correctement, la porte roulante s'est désormais retirée et la lourde masse du B747 s'ébranle sur le tarmac. On y est.
Mon copilote s'occupera de la séquence de démarrage des 4 moteurs du 747-400, je ne ferais que superviser les opérations et puis je finirais de préparer les derniers éléments nécessaire au taxi.
La main de mon coéquipier se pose sur les fuel switches et les placent sur "on" puis, il tire les start switches qui s'illuminent en blanc. Les graphs sur l'ECAM s'agitent, comme d'habitude. Les 4 moteurs tournent rond.
Je passe avec "DeGaulle sol" qui m'autorise à rouler vers la piste 27L. On allume les feux de taxi, et je pousse lentement la manette des gaz, de façon à donner vie à ce monstre métallique.
On passe en revu les derniers détails importants avant le décollage, car pas question d'avoir oublié une quelconque chose durant la course au décollage. Autobrakes sur RTO, flaps sur 10, packs sur off. Enfin le point d'arrêt de la 27L se profile devant nous, et il me reste juste assez de temps pour locker la porte du flightdeck et de mettre les "seatbelts et smoking signs" sur on . J'arme le F/D et l'A/T.
La "dome light" laisse peu à peu place à la lumière brune tamisée des cockpit de chez Boeing. Landing lights, strobes puis on s'aligne sur la 27L.
La pluie s'écrase toujours sur le pare-brise. Je pose ma main sur la large manette des gaz commandant les 4 moteurs.
Je vérifie une dernière fois que le mode TOGA est bien actif puis je pousse lentement la manette des gaz. Mon dos tremble, et la centerline de la piste commence à s'effacer... Un son inhabituel parvient à mes oreilles, une sorte de bip violent. Plus de son, plus d'image si ce n'est ce bip aiguë et désagréable.
Chambre à peine baignée par la lumière de la rue, je viens de me réveiller, je suis passé du B747 au lit douillet. Il est 6h05, et on est Mardi matin. Et dans deux petites heures c'est physique-chimie... Bien loin du coveted left Seat d'un Jumbo jet.
Décidément les rêves sont bien plus puissants que ce que l'on peut croire. J'attends juste patiemment le jour où le rêve se combinera à la réalité, et où j'aurais l'occasion de pouvoir écrire un récit semblable à celui la sans avoir l'étranger sensation de mentir ...
PS: Ne faites pas attention aux slats déployés sur la photo. J'avais juste sortit le 747 pour les besoins d'une photo ...
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